Témoignage de l’Abbé Modeste Mungwarareba rescapé du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994
J’ai survécu à plusieurs des massacres qui sont devenus endémiques au Rwanda. En 1959, j’avais huit ans. J’ai tout vu, tout ce qui s’est passé. Des gens ont été tués, des maisons brûlées, des vaches abattues, et il y avait des pillages. Puis, un coup de sifflet a été donné : tout s’est arrêté, et on nous a dit : « Réconciliez-vous. »
En décembre 1963, les autorités ont provoqué une vague de tueries génocidaires. Beaucoup de Tutsis de Bufundu et de Bunyambiriri ont été massacrés ; certaines familles ont été complètement décimées. J’avais douze ans. J’ai couru dans la brousse, mais ils m’ont trouvé. Battu et abandonné pour mort, j’ai été réveillé dans l’après-midi par la pluie. Un voisin hutu, Berchmans, m’a sauvé. Il m’a emmené chez lui pendant la nuit. Mais chaque jour, il devait m’emmener dans la brousse vers quatre heures du matin, pour que la rosée puisse effacer les traces de ses pas.
Il m’a dit que j’étais en danger. Mais je ne pouvais pas croire qu’un adulte serait capable d’enlever un enfant. Je ne savais pas que les adultes avaient reçu l’ordre de tuer tous les hommes tutsis.À l’école, nos maîtres ne voulaient pas que nous en parlions. En parler était censé faire appel à un mauvais esprit. Mais un jour, j’ai décidé d’en parler. Tout le monde m’a écouté, stupéfait, mais personne n’a répondu.
Les personnes qui avaient tué et pillé ont continué à vivre en liberté. Ce sont elles qui prospéraient le plus. C’était nous qui avions peur. Ils savaient que nous savions. Ils attendaient seulement l’occasion de nous éliminer, parce que nous représentions leur mauvaise conscience. Dans la région de Gikongoro, l’efficacité du génocide de 1994 est liée au fait que les gens impliqués dans le génocide de 1963 n’avaient pas été punis. André Nkeramugaba, le préfet, était le plus virulent. Mais la population l’estimait : il avait même été élu membre du parlement. D’autres sont devenus bourgmestres ou fonctionnaires locaux du parti au pouvoir.
Je n’ai entendu aucune voix s’élever contre ces massacres. On les dissimulait. Personne n’a été puni. Les rescapés de 1963 ont été exterminés en 1994. Ma maison était à Jimbu, sur la colline de Murambi. Mon village natal n’est plus habité. Plus de 400 personnes de ma famille ont été exterminées en 1994. Personnes âgées et femmes, filles et garçons, personnes d’âge mûr tous ont été victimes du génocide. C’est au-delà de notre compréhension. Quand je me rends à Murambi, tout ce que je vois, ce sont des maisons vides. C’est effrayant. Les voisins ne veulent pas me dire ce qui s’est passé. Ils disparaissent lorsqu’ils me voient venir. Aucun d’entre eux ne m’a jamais dit qu’il regrettait ce qui s’est passé.
Toutes ces souffrances demeurent étouffées dans le cœur des rescapés. Nous ne devons jamais oublier toutes nos familles qui ont péri sur les collines. La solution au problème, à la fois pour ceux qui ont perdu leurs proches et pour ceux qui ont perdu leurs biens ou leurs bien-aimés, ainsi que pour ceux qui ont participé au génocide, viendra à travers la justice.
La justice est le chemin vers la réconciliation et la reconstruction, et elle devrait être considérée comme un signe de respect pour tous ceux qui ont subi une mort atroce. Rappelle-toi des mauvais moments pendant que tu te bats pour construire un monde meilleur.